Antoine Lussier
1 NOVEMBRE 2025
Artiste contemporain originaire de Montréal, au Canada, Antoine travaille avec la photographie et le dessin, explorant le corps comme élément central de sa pratique artistique
Artiste contemporain originaire de Montréal, au Canada, Antoine travaille avec la photographie et le dessin, explorant le corps comme élément central de sa pratique artistique
J’ai commencé jeune en empruntant la caméra de ma mère. J'étais un enfant quand même timide et la photographie a été, et est encore aujourd’hui pour moi, une façon très puissante de montrer ma volonté de me démarquer sans les mots. C'était une façon de m’affirmer sans avoir à parler, comme si, à travers les images, je pouvais m’affirmer dans ma différence autrement.

Mon œil photographique a beaucoup été formé du fait de venir d’un quartier industriel. La photographie est devenue pour moi une manière de créer une distance avec cet environnement, sans nécessairement vouloir le rejeter, mais pour mieux le comprendre, pour me le réapproprier.
Comment a commencé ton parcours d’artiste ?
Dans quel environnement as-tu grandi ?
J’ai grandi dans un quartier industriel de l’Est de Montréal, entouré de raffineries, de bâtiments abandonnés et de terrains vagues. Cet environnement m’a beaucoup inspiré, notamment par des matériaux comme le métal et les objets laissés à l’abandon qui bordaient ces industries. Le métier de mon père, qui est couvreur, m’a aussi beaucoup marqué. Le sens de la réutilisation, du bricolage et de l’assemblage sont des éléments qui continuent de guider ma façon de créer.
Je suis né à Montréal. J’y habite et y travaille actuellement.
D’où viens-tu ?
Carmine’s Room est un projet d’espace d’exposition indépendant qui prend place dans l’appartement d’Ally Rosilio et son compagnon Liam. J’ai trouvé très stimulant de travailler en dialogue avec une commissaire: créer est souvent un travail solitaire, alors avoir une personne de confiance qui veut te voir grandir comme artiste, c’est précieux.

Voir mes œuvres exposées dans un appartement m’a beaucoup plu car je trouve que ça transforme la rencontre avec les œuvres: elles deviennent plus intimes, plus humaines, et font tomber la distance souvent imposée par les espaces institutionnels. Une forme de démocratie sensible se crée et les œuvres y circulent au quotidien, dans un espace vécu.

Une des œuvres que j’affectionne beaucoup dans l’exposition est Unfolding Shadows qui présente un corps que j’ai photographié à travers l’intérieur d’un projecteur. En s’inspirant de la forme d’une boîte du projecteur, le cadre en bois de l'œuvre a été conçu par Liam, le compagnon d’Ally, qui est ébéniste. Le cadre-boîte prolonge la réflexion du projecteur à la fois confiné et ouvert, le cadre devient une sorte de double-fenêtre vers un autre monde entre l’observateur et ce qu’il observe, permettant une rencontre entre l’intime et le matériel, le corps et l’image.
Tu as exposé dans un espace appelé Carmine’s Room. Peux-tu en parler ? Comment cet endroit a-t-il influencé tes œuvres et la manière dont tu les as présentées ?
Unfolding Shadows, 2024 (Exposé à Carmine’s Room)
Je m’intéresse au corps et à la manière dont les gestes laissent leurs traces sur l’image. Je m’intéresse au corps et à la manière dont les gestes laissent leur trace sur l’image. Les manipulations que je crée et les accidents qu’elles engendrent deviennent le cœur de mon exploration: j’observe l’affect de ces éléments au fil du processus et la façon dont ils façonnent l’image.
Quels sont les thèmes que tu explores dans tes travaux ?
Je travaille beaucoup avec des objets trouvés qui font écho à l’image: projecteurs, loupes, négatifs récupérés, papiers photosensibles expirés, toutes sortes de matériaux qui m’inspirent. Je n’utilise pas ou très peu de logiciels de postproduction comme Photoshop; je crée tout directement dans l’appareil photo même. Les effets qui pourraient sembler numériques sont en réalité des manipulations manuelles réalisées avec des miroirs, des images, des reflets, des dessins, du plastique, etc. Ça me permet de rester dans une approche plus physique et expérimentale de la photographie et de laisser ma trace physique sur les œuvres.
Avec quels matériaux photographiques travailles-tu ? Y a-t-il une histoire derrière ces choix ?
Je travaille principalement avec la photographie et le dessin. J’aime les assembler, les fragmenter, les superposer, et créer des dialogues entre le corps comme médium et l’image elle-même.
Avec quels médiums travailles-tu ?
— Je m’intéresse au corps et à la manière dont les gestes laissent leurs traces sur l’image.
The Split (Eye), 2025
Quels sentiments souhaites-tu finalement susciter chez celui ou celle qui entre en contact avec tes œuvres ?
Je ne peux pas avoir le contrôle sur les sentiments que suscitent mes œuvres, mais je sens une profonde intimité avec ceux qui les regardent. Je souhaite que celui ou celle qui regarde mes œuvres puissent entrer dans mon espace sensible, personnel, parfois même ambigu.

Je vois ma pratique comme un texte rédigé sur papier. Certains passages ont été biffés, j’y ajoute des éléments au stylo rouge. Parfois, je chiffonne le texte, que je décide de jeter et que finalement, je reprends dans la corbeille et qui revient au monde sous une nouvelle forme.

Je veux laisser entrevoir mon processus, mes idées, mes erreurs, mes essais; je ne gomme pas mes traces pour laisser place à la pureté de l’image. C’est cela qui, pour moi, crée cette intimité avec ceux qui entrent en contact avec mon travail.
Parle-nous de ton lieu de travail: à quoi ressemble-t-il? Quelle atmosphère y est importante pour toi
Mon atelier passe souvent du chaos au calme. Il y a des moments d’expérimentation où tout s’accumule, puis d’autres où je range, je prends un recul sur ce que j’ai fait et j’observe.
Quelle place occupe la dimension sexuelle du corps dans tes œuvres ?
La dimension sexuelle occupe une place dans ma pratique comme celle de l’amour. J’utilise l’amour comme un souffle, presque comme un gaz pour mes créations. Le plein d’amour et le manque d’amour, l’amour que l’un me donne et l’amour que je manque de me donner à moi-même. C’est la même chose pour la sexualité: elle nourrit mes œuvres comme une énergie à la fois intime et universelle.
Le corps est un élément central dans mon travail, il apparaît sous forme de fragments, d’empreintes, d'égratignures, de poils ou même via la poussière. Ça vient installer une relation tactile et intime avec la surface du tirage, comme si l’image possédait sa propre peau.
Pourrais-tu développer le rôle du corps dans tes photographies ?
3. Morphing Jaw, 2023.
2. Scan2021001, 2022.
  1. Je me souviens de l’odeur de goudron comme de la poussière au fond de ma gorge, 2023 (Exposé à l’exposition Surfaces du Livart à Montréal)
Retrouvez Antoine Lussier sur Instagram et sur son site
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onyvaclermont@gmail.com
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